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LA
SCIENCE CHASSÉE DE L’UNIVERSITÉ
« — Mais qui contrôle leurs cours ? J’ai cru
voir qu’ils donnaient leurs cours de manières très diverses... Il n’y a
pas de coordination.
1
Il
est entendu que l’université se consacre à la recherche et à l’enseignement.
Il ne s’ensuit pas pourtant qu’elle se voue aussi à la science. Qu’enseigne-t-elle
donc ? que recherche-t-elle, si ce n’est la science ? Le paradoxe
paraît trop massif pour n’être pas une simple erreur. Si les étudiants
apprennent, n’est-ce pas qu’on leur offre des savoirs, qu’on leur
transmet des sciences ? Si les chercheurs cherchent et trouvent, n’est-ce
pas qu’ils veulent accroître nos sciences et le font ? Oui, c’est du
moins ce que l’on dit et ce qui arrive peut-être encore réellement —
mais, heureusement, de moins en moins souvent. Avouons
d’entrée de jeu qu’il y a une ambiguïté dans ces termes :
« science », « sciences », « savoir »,
« savoirs », qui a permis la formulation du paradoxe précédent.
En un sens fort, traditionnel, un peu suranné, le savoir est la saisie de la
vérité ; la science, ce savoir ou la discipline qui le vise. En un sens
plus faible, et plus courant, les savoirs ne sont que des opinions largement
admises ou des informations ; les sciences, que des méthodes
généralement acceptées et les recettes ou techniques qu’elles permettent
de produire. Alors rien n’empêche que l’université n’enseigne et ne
recherche les « savoirs » et les « sciences » sans
pourtant se soucier vraiment ni du savoir ni de la science. Certes,
qui ne sait qu’il y a de bonnes raisons à cette modeste retraite ?
Depuis longtemps, si longtemps qu’on ne se rappelle même plus quand la
question a été réglée, on sait que la vérité est inaccessible et que les
savoirs n’ont qu’un rapport flou avec cet idéal inatteignable et
ridicule. On le sait précisément de cette science que transmet l’université
et qui a compris la nécessité historique, économique, sociale, politique,
psychologique et épistémologique, de se soucier de moins en moins de la
« vérité ». Pourtant, s’il est de mauvais ton, voire
condamnable, de croire à la vérité, il convient d’accepter au contraire
comme certitude l’idée qu’elle ne peut pas être prise au sérieux. Rions
donc ! Rions des naïfs qui prennent au sérieux le savoir, la science,
la vérité, et la mission de l’université à leur égard. Ils n’ont rien
compris à la spécificité de notre culture. Ils ne savent pas ce que les
enfants, après avoir vu un peu de publicité, ont déjà saisi : que ces
vieux mots de science ou de vérité ne sont pas utilisés au sens propre,
mais d’une manière ambiguë, où il faut comprendre à la fois une allusion
à l’idée suggérée et son exclusion, voire la désignation de son
contraire. Mais comment empêcher certains innocents de croire qu’avec la
mousse du bain, on achète la jolie fille qui s’y baigne, et son
bonheur ? Pour
ces naïfs — car pour les autres, on serait mal venu de régresser à la
platitude d’abandonner les métaphores —, disons une fois en termes
simples, prosaïques, ce qu’est l’université : une école
professionnelle et un bureau d’adaptations et d’inventions techniques. Je
le sais, il fut un temps où les professeurs, les étudiants et d’autres
idéalistes (à leur décharge, il faut rappeler qu’ils n’avaient été
éduqués ni par nos publicités ni par nos universités) prenaient
littéralement ces beaux mots par lesquels leurs successeurs déniaisés
désignent encore leurs activités et leurs buts. Le malheur est que, contre
toute évidence, certains restent pris dans les filets de cette tradition et
continuent à y croire. Combien de trouble ces inadaptés ne risquent-t-ils
pas de causer dans nos institutions ! On ne saurait veiller assez non pas
tant à les éclairer qu’à les habituer enfin à la pénombre ambiante dans
laquelle les choses prennent avec tant de facilité et d’opportunité des
apparences contraires. J’aimerais
ici d’abord faire sentir la réalité de ces dangers, et ensuite proposer
une cure pour les récalcitrants qui nous font courir ces périls.
2
En
premier lieu, certains traits de la psychologie des nostalgiques de la vieille
culture sont utiles à noter, parce qu’ils conditionnent les modes de leur
résistance à la réalité socio-économique actuelle. Pour
comprendre l’effet étonnant de leur croyance en la valeur directe, voire
absolue, de la vérité et de la science, il faut remonter à des phénomènes
perdus dans l’obscurité de l’enfance pour la plupart d’entre nous. Nous
voyons les enfants demander pourquoi ceci, pourquoi cela. Nous leur
répondons ; et ils se calment, trouvant de nouveaux objets pour leurs
questions. Parfois, il y a des blocages étranges dans ce jeu. Subitement, l’enfant
s’enlise dans une sorte de cercle, il fait tourner ses questions sur
elles-mêmes, paraît vouloir autre chose que nos explications habituelles, qu’il
semble contester au nom d’une réponse possible d’une autre nature. Il
demande par exemple « pourquoi y a-t-il des télévisions ? »
— « parce qu’on en construit dans de grandes usines... » Et au
lieu de continuer naturellement : « pourquoi est-ce qu’il y a des
usines ? » etc., il se met à demander pourquoi on en construit,
pourquoi on en désire, pourquoi nos réponses sont vraies, etc. Ces
déviations de la curiosité naturelle finissent mal, dans les pleurs, dans
une oisiveté taciturne ou dans la bouderie, quand ce n’est pas la
neurasthénie. Bref, il y a un subit entêtement, une résistance à la
réalité commune, la recherche parfois délirante d’une sorte de tache
aveugle. Tels
sont aussi les sectateurs de la vérité. Ils recherchent obstinément quelque
chose d’invisible, de non disponible, d’incalculable, qui les empêche de
se satisfaire des explications les plus communément admises. Quelques-uns
prennent la figure typique du savant, dans les nuages, incapable de prendre
pied solidement dans la réalité. D’autres paraissent plus normaux au
premier abord. Ils se retrouvent dans la réalité comme chacun, même avec
habileté parfois. Mais leur manie se marque à certains moments par les
questions hors contexte qu’ils ont tendance à se poser, freinant par leurs
problèmes inopportuns l’avance des processus les mieux engagés. Dans tous
les cas, ils sont des partenaires peu fiables qui vont manifester à un moment
ou à l’autre leur idiosyncrasie, au lieu de se couler harmonieusement jusqu’au
bout dans l’action commune. Comme chercheurs, ils tendent à dévier du
projet initial en cours de route. Comme professeurs, ils s’égarent dans des
questions inutiles et perdent de vue la formation efficace des futurs actants
économiques et sociaux. Comme étudiants, ils sont inquiets, insatisfaits
même quand leurs résultats sont brillants, parfois insoumis, presque
toujours obsédés par l’idée saugrenue qu’il y a un secret que leurs
études ne leur révèlent pas. Ils
sont heureusement assez isolés dans nos rangs. Mais, malgré cette relative
solitude, ils forment une sorte de société avec des exigences assez
communes, qui, on l’imagine, vont à l’encontre du bon ordre de nos
universités. Pour les avoir fréquentés et écoutés parler entre eux quand
le hasard des rencontres les rassemble par tout petits groupes, je sais assez
bien ce qu’ils désirent. Plus encore, non seulement je connais leurs
revendications, mais j’ai calculé ce vers quoi elles tendraient si on leur
donnait libre cours. Afin de bien reconnaître le danger dont nous menace leur
présence parmi nous, je vais donc décrire la sorte d’utopie qui me paraît
résulter de leurs exigences, en montrant comment elle en découle.
3
A l’opposé
du scientifique nouveau style, le savant plus traditionnel n’accepte pas,
dans sa science, la haute autorité sociale, plus ou moins conventionnelle.
Assurément, il donne un poids, qui peut être très grand, aux résultats de
la recherche de la communauté scientifique. Mais il assortit son respect d’une
sorte de doute de principe, portant non pas tant sur les résultats partiels
eux-mêmes que sur leurs fondements, car c’est encore de ce côté
essentiellement qu’il situe la vérité à laquelle seule il reconnaît une
autorité ultime, bien qu’il reste souvent incapable de dire exactement en
quoi elle consiste. En cela, bien que la différence n’apparaisse pas
évidemment dans la pratique courante, il conçoit le progrès de sa recherche
dans le sens inverse du scientifique de la nouvelle génération. Celui-ci,
dégagé du préjugé de la vérité, est toujours prêt à modifier les lois
plus particulières de son domaine de recherche pour les adapter sans façons
aux exigences de la réalité étudiée — un peu comme le gestionnaire
modifie les règlements spéciaux selon les besoins du cas précis à
résoudre —, tandis que la structure théorique plus générale de la
science, son cadre social et économique, lui paraissent doués d’une
autorité qu’il n’envisage guère d’ébranler. Au contraire, le savant
traditionnel paraît souvent moins disposé à se consacrer à ces réformes
de détail, un peu cavalières à son jugement, alors qu’il interroge
toujours avec quelque inquiétude ou malin plaisir les fondements du bâtiment
des sciences. La différence des résultats est claire : les uns
produisent davantage de résultats utiles, alors que les autres tendent à se
perdre dans des recherches qu’ils peuvent bien nommer fondamentales pour
leur donner une apparente dignité, mais qui ne sont tout au plus que d’une
hypothétique et lointaine utilité, pour ne pas dire d’une simple
inutilité actuelle. De
cette différence d’attitude envers l’autorité scientifique naît une
conception différente aussi du statut de l’homme de science. Dans toutes
ses études, le futur savant ancien style aborde les autorités scientifiques
avec un mélange de respect très profond et d’irrespect en même temps,
aussi paradoxal que cela puisse paraître. Il voit en effet dans ses maîtres,
par exemple, des initiés possibles, qui se sont approchés de la vérité
plus que lui. Et l’idée de cette proximité lui donne une sorte de
vénération pour eux. Mais, de l’autre côté, c’est à la vérité seule
qu’il attribue toujours l’autorité ultime, de sorte qu’il est toujours
prêt aussi à relativiser par rapport à son exigence de vérité la
totalité de l’enseignement qu’il reçoit. Plus que l’exposé de
théories achevées, avec toutes leurs conclusions, et l’insistance sur les
informations pratiques destinées à permettre d’aborder rapidement les
applications de la discipline dans la vie professionnelle ou la recherche, il
demande des aperçus sur les principes, sur les structures fondamentales, et
la liberté de les examiner à loisir pour en éprouver la cohérence et... la
vérité. (Oui, la prétention est dérisoire, mais c’est pourtant bien
ainsi — j’ai eu l’occasion de m’en convaincre à plus d’une reprise
— qu’ils envisagent leurs études, même s’ils n’osent pas tous, comme
les plus audacieux, l’avouer immédiatement.) Il y a là, inutile de le
cacher, quelque orgueil, qui fait que ce type d’étudiants a une certaine
inclination pour une forme de culture semi-autodidacte. Il s’ensuit une
résistance à l’ordre soigneusement planifié de nos programmes d’études,
souvent une errance d’un programme à l’autre, une perte de temps, l’introduction
d’un début de confusion ou d’anarchie dans l’ordre général des
études, et enfin, parfois, l’abandon, par épuisement et déception (la
révolte ouverte, heureusement, n’est plus que le mauvais souvenir d’âges
révolus). Demandez
à ce genre d’étudiant dans quelle sorte d’université il désire faire
ses études. Évidemment, il sera rarement satisfait des structures actuelles.
Ou bien il proposera un programme nouveau, dont on remarquera vite qu’il est
trop modelé sur ses intérêts personnels pour pouvoir être généralisable,
ou bien il demandera des cours d’un plus haut niveau (et l’on s’apercevra
bientôt qu’il entend généralement par là les vaines spéculations sur
les fondements), ou bien il avouera même sa prétention à prendre en charge
une partie de ses études, et il réclamera un allègement de la charge de
cours, un plus grand nombre d’options, une liberté presque complète de
voyager à travers les programmes, les disciplines. Et d’habitude, il aura
la fâcheuse tendance de s’attacher aussi plutôt à des professeurs (et de
quelle sorte, on peut le deviner) qu’à des matières, des programmes, des
disciplines. Voilà, il faut en convenir, une source d’anarchie potentielle
toujours présente dans nos universités. Voyons
maintenant le même adepte de la vérité dans sa figure de professeur, et d’abord
en tant que chercheur. En
premier lieu, sans aller jusqu’à prétendre que ces chercheurs-là ne s’adaptent
pas au travail en équipe, il faut avouer cependant qu’ils s’y prêtent
moins naturellement, sauf dans des cas particuliers : quand ils dirigent
eux-mêmes l’équipe, quand leur collaboration est accessoire, ou quand ils
ont le bonheur rare de se trouver avec des compères qui partagent leur style
et leurs intérêts. L’allégeance à la vérité s’accorde d’habitude
assez mal avec le caractère « démocratique » des équipes de
recherche modernes. Du reste, les mouvements parfois imprévisibles que
réclame la pure recherche de la vérité ne permettent pas non plus la
programmation efficace, régulière, du cours de la recherche, ainsi que le
réclament les systèmes de subventionnement dont nous bénéficions. En
outre, la déviation fréquente chez eux par rapport au discours couramment
admis ne facilite pas le « jugement des pairs » auquel on soumet
aujourd’hui les chercheurs pour l’ordre et le bien de tous. Il
découle de ce style de recherche l’idéal d’une institution fort
différente de nos universités. L’insistance
traditionnelle sur la liberté de la recherche universitaire représente
peut-être le cri de rassemblement des chercheurs de vérité. Car, lorsque la
vérité, cherchée ou trouvée, est seule reine, toutes les autres
considérations deviennent accessoires et sont considérées comme des
entraves. L’efficacité, l’utilité, les coûts, l’opportunité et même
l’opinion des pairs (surtout quand il y a parmi ces derniers une majorité
de gens que nos orgueilleux sectateurs de la vérité ne reconnaissent pas du
tout comme leurs pairs) ne comptent guère. Si la recherche doit être libre
comme ils le voudraient, il faut simplement que le chercheur n’ait pas à
justifier chaque fois pourquoi il se lance dans une direction plutôt que dans
l’autre. Il a donc besoin d’un crédit touchant sa personne et ses
capacités de savant, pour lui permettre de se dispenser de prouver chaque
fois que ses projets répondent à des critères relativement indépendants de
son propre jugement sur les raisons qu’il a de les former et de les
réaliser. Par conséquent, les conditions de recherche dont il a besoin
consistent, si nous mettons à part les équipements indispensables à chaque
type de recherche, en un lieu réservé qu’il puisse aménager à sa
manière — et parfois où il le désire —, en un loisir non contrôlé
surtout, en une équipe, éventuellement, qu’il puisse diriger à sa façon.
Bref, il n’exige rien de moins qu’une sorte de petite seigneurie, reconnue
et supportée par son milieu social (ou tolérée au pis-aller). Avant
de passer à la caractérisation de l’institution correspondante, observons
notre personnage comme enseignant, car on y retrouve largement les mêmes
traits que chez le chercheur. En effet, il se soucie peu de se rendre utile à
la société en formant des professionnels efficaces pour le marché du
travail. Il tend à supposer chez ses étudiants un intérêt semblable au
sien pour le pur idéal de la vérité ; et même l’évidence
contraire, chaque année répétée, ne parvient pas à lui faire ouvrir
définitivement les yeux sur son illusion. Il n’a donc pas de goût pour la
transmission des supposés savoirs de la communauté, et il se concentre soit
sur l’exposé de ses recherches, soit sur une formation à la recherche dans
le sens où il la pratique. C’est pourquoi, ici aussi, il exige l’autonomie ;
et toutes les ingérences dans son enseignement, soit pour le soumettre à des
programmes, soit pour le rendre efficace pédagogiquement, lui paraissent
affecter son objet. Il réclame donc la même liberté que pour la recherche,
le même crédit global de la part de son université. Maintenant,
il est facile de voir comment tous ces aspects convergent vers une idée de l’université
incompatible avec son organisation présente. Imaginez des professeurs
reconnus comme des princes de leur science, indépendants sur leur territoire,
libres de rechercher et d’enseigner ce qu’ils veulent, avec des étudiants
qui usent d’une liberté semblable, et s’attachent à tel ou tel de leurs
professeurs à mesure qu’ils l’estiment favorable au développement de
leur propre formation. On voit bien qu’il y a là une contradiction. Car
comment, dans cette anarchie, reconnaître les fonctions légitimes de
chacun ? Pourquoi engagerait-on tel professeur, si les besoins précis ne
sont pas définis ? Et selon quel critère lui attribuera-t-on le statut
princier garantissant sa pure liberté de savant ? Le
problème paraît insoluble. A moins qu’on n’envisage une solution si
impopulaire, si peu « démocratique », qu’à peine ose-t-on la
formuler. Chacun
sait qu’un des grands acquis des troubles de soixante-huit, qui sont loin d’avoir
été glorieux sur tous les points, est l’abolition, presque partout
définitive, de l’odieux examen de jadis, si tyrannique qu’il
représentait aux yeux des étudiants révoltés le symbole même de l’abus
de pouvoir perpétré à leur endroit par l’institution scolaire en
général. Or comment remettre un certain ordre dans le système assez
anarchique que nous venons d’esquisser, sinon en réintroduisant les examens
sous leur forme la plus discriminatoire ? Ces étudiants qui voyageront à
travers les cours, sans ordre précis, hors de tout programme soigneusement
préparé pour eux selon une attentive prévoyance, cherchant par eux-mêmes
dans les bibliothèques des compléments à la formation qu’ils ne
trouveront que fort partielle dans leurs cours, il faudra finalement, d’une
manière ou de l’autre, juger de ce qu’ils savent, et, à cause du
désordre de leurs études, on ne pourra guère le faire autrement que par des
examens terminaux, où ils devront prouver d’un coup la réussite de leur
formation. Ce serait abandonner tout notre système de crédits, avec la
possibilité qu’il donne de suivre les étudiants pas à pas, pour s’assurer
à chaque cours qu’ils ne s’égarent pas. Sans même insister sur la perte
que représenterait un tel abandon d’un excellent moyen d’éducation à l’esprit
de la réalité économique dont les étudiants doivent malheureusement rester
trop éloignés pour accomplir leur formation, on conçoit la responsabilité
immense dont on accablerait ces jeunes esprits encore trop fragiles pour se
prendre en charge. Le résultat serait effrayant : seuls les étudiants
les plus doués, les plus passionnés auraient des chances d’obtenir leurs
titres. De
plus, ce système de l’examen devrait se prolonger sous d’autres formes
jusqu’au sommet de la hiérarchie des titres. Car comment s’assurer que
les professeurs méritent la confiance qu’ils réclament pour garantir leur
liberté, sinon en les mettant à l’épreuve et en ne leur octroyant les
plus hauts grades, l’agrégation, puis la titularisation, avec l’étendue
croissante des droits qui leur seraient liés, qu’après avoir reconnu en
eux les vrais savants auxquels seuls cette liberté peut être attribuée, non
plus seulement comme un fait, mais aussi comme un droit ? Mais, comment ne pas
voir qu’ici aussi, seuls quelques-uns des meilleurs parviendront dans ces
conditions à l’ultime dignité académique et qu’il s’établira dans
nos universités une hiérarchie fort contraire à nos mœurs
« démocratiques » ? Je ne parle même pas de la malheureuse
parenté de ces épreuves avec les initiations des peuplades primitives, qui
montrent à quel point l’idée de tels sauts définitifs d’un statut à l’autre
ont le caractère d’une véritable régression historique. Ce
n’est pas tout. Qui pourra diriger une université de cette sorte ? On
imagine que ces petits seigneurs, habitués à une presque totale liberté
dans leur discipline, seront très malaisés à conduire. Toujours, ils se
réclameront de leur autonomie pour contester les décisions des autorités
universitaires. Ils ne seront pas contents qu’ils n’aient pris le pouvoir
et qu’ils n’aient substitué à nos modes de gestion
« démocratiques » un gouvernement « aristocratique »
de l’université par les professeurs eux-mêmes. La logique de la liberté
scientifique l’exige, puisque sinon, toute mesure prise par l’administration
sera perçue comme menaçant d’affecter le champ d’autonomie de la
recherche et de l’enseignement. On en arrivera donc à cette situation
absurde : l’administration d’une université soumise à son corps
professoral ! Il y aurait là de quoi devenir, avouons-le, la risée des
cadres des autres entreprises. De
toute manière, il resterait à régler le problème du statut de toutes les
institutions qu’évacuerait cette nouvelle structure. Une fois l’université
ordonnée à la recherche de la vérité, la formation des professionnels
serait délaissée. Sinon, ou bien il faudrait séparer de l’université les
écoles professionnelles, qui pourraient alors conserver des structures
analogues à celles que nous avons actuellement. Mais où faire passer
exactement la frontière entre ce qui devrait rester dans l’université et
ce qui devrait en être séparé ? Ou bien, il faudrait hiérarchiser
encore, rabaisser les programmes professionnels au rang de chemins d’étude
inférieurs, organisés autrement, confiés à des enseignants situés en
deçà de la hiérarchie professorale proprement dite, aboutissant à d’autres
diplômes que les branches purement universitaires ou
« scientifiques » dans le sens plus traditionnel. Mais ces deux
niveaux pourraient-ils subsister dans la même structure sans la faire
éclater ? La « base » du personnel enseignant pourrait-elle
accepter cette autorité aristocratique comme elle accepte celle des
administrations actuelles, avec leurs conseils d’administration
démocratiques ? Voilà
les dangers que font courir à l’université les nostalgiques d’une
époque où le savant se vouait à la vérité. On peut se convaincre à
présent qu’il n’était pas exagéré de prétendre que c’est toute l’organisation
actuelle de l’université que ce ferment risque de bouleverser. Il est donc
urgent de passer à l’exposé des remèdes.
4
Le
mal est trop grave pour qu’on puisse se contenter d’une cure ponctuelle.
Il faut éradiquer totalement la maladie. Les moyens que nous proposons visent
donc non seulement à empêcher l’action des désirs pervers des
« savants » dans notre université, mais également à éliminer
ces désirs eux-mêmes en les étouffant à la naissance. C’est dire que,
dans cette guerre décisive, où enfin la rationalité planificatrice de notre
civilisation devra acquérir la victoire définitive, il faudra frapper sur
tous les fronts à la fois, et mettre en oeuvre les armes universelles de
destruction massive contre les aspirations rebelles. Le
premier principe est de prendre un point d’appui stable pour opérer à
partir du centre de nos forces et manier de là la matière universitaire. En
d’autres termes, il faut refuser à l’université son prétendu droit de
former une petite société distincte. Il faut la pousser entièrement dans le
marché et la soumettre à ses lois. Il faut la concevoir comme une entreprise
parmi d’autres, plutôt que comme une institution d’un caractère
particulier. Toute la politique à adopter découle de la lutte à mener pour
imposer ce principe contre la résistance qu’y oppose la conception
aberrante d’une université relevant d’un autre ordre de préoccupations. Il
y a donc deux aspects à cette stratégie : l’un positif, l’autre
négatif. Le premier consiste à importer simplement partout où une analogie
en donne le prétexte les modes d’administration des autres entreprises. C’est
là l’aspect le plus facile, parce que l’infiltration peut s’accomplir
progressivement, profitant directement du caractère d’évidence des
solutions proposées, grâce à l’influence du milieu social et économique.
Ces techniques s’insinuent aisément avec la bonne volonté de résoudre à
chaque fois les problèmes d’organisation en usant des moyens disponibles
les plus efficaces à première vue. Et ce n’est qu’au moment où des
mécanismes centraux des vieilles organisations universitaires menacent d’être
assimilés à ces nouveaux modes de gestion que la résistance se fait à
nouveau sentir. Certes, il est peut-être déjà trop tard alors pour
renverser le mouvement. Mais c’est à ce moment que se développent dans l’université
les poches de résistance si néfastes à l’harmonie de l’ensemble. C’est
pourquoi notre stratégie implique un deuxième volet, destiné à affaiblir
spécifiquement cet esprit de contestation. Je
passe assez vite sur le premier point, la tactique d’infiltration
économico-administrative, que nos politiques et administrateurs comprennent
assez bien, du moins instinctivement si ce n’est avec une entière
lucidité. L’assimilation doit se faire en développant l’analogie entre l’université
et les autres entreprises. Il suffit d’utiliser le langage tiré du domaine
économique et industriel pour voir les éléments se mettre en place dès qu’on
cherche à appliquer les mots et les formules à la réalité universitaire.
On découvre sans trop de difficulté que les professeurs travaillent, et qu’en
tant que travailleurs, ils sont des employés de l’université. Les
étudiants profitent de l’enseignement qu’on leur donne. Ils peuvent donc
le considérer comme un service et passer pour des clients, d’autant qu’ils
paient une petite partie de leurs études. D’un autre côté — mais il n’y
a aucun mal à superposer plusieurs images, pourvu qu’elles servent aux fins
d’assimilation poursuivies —, ces mêmes étudiants peuvent être vus
comme un matériau brut que l’usine universitaire transforme en des produits
finis, en des outils utilisables (avec quelques adaptations mineures parfois)
par les autres entreprises, et par l’université elle-même. Un autre
produit de l’usine universitaire est vite décelé : il consiste dans
les résultats de la recherche, en tant que ce sont des procédés techniques
utilisables également dans les autres maillons de la grande chaîne de
production universelle. Il est même avantageux de faire remarquer la
complémentarité des deux sortes de produits de l’université, les
diplômés pouvant souvent servir à mettre en oeuvre les produits de la
recherche, si bien que l’université peut fréquemment les lancer ensemble
sur le marché. L’assimilation se poursuit naturellement ensuite en ce sens
également du côté des professeurs. Comme ce sont d’anciens étudiants que
nous utilisons pour en former de nouveaux, nous remettons en oeuvre nos
propres produits. Bref, parmi nos ressources, financières, matérielles et
autres, nous pouvons situer en général les ressources humaines, et, sous
cette espèce, les ressources professorales. Je
vous laisse compléter le tableau. Cette esquisse aura suffi à faire voir et
le principe de l’opération et son bénéfice. Nous savons que nos
récalcitrants se situent dans les deux catégories hélas les plus nombreuses
de personnes actives à l’université : les professeurs et les
étudiants. Il faut leur enlever leur orgueil, leur tendance à se considérer
comme distincts des agents économiques. Dans les deux cas, on utilisera à la
fois une flatterie en réalité avilissante et une dégradation symbolique de
leur statut. D’abord,
aux professeurs, on dira : « voyez, vous n’êtes pas des
inutiles, vainement occupés à des futilités hors des réalités de la vie,
vous êtes des travailleurs, indispensables à notre économie, comme les
autres. » Comme travailleurs, ils ont évidemment des intérêts à
défendre, comme les autres ; ils tombent dans le piège de se syndiquer,
de jouer l’affrontement ouvriers et patrons, et se constituent par là un
patron fictif, qui devient bientôt réel comme beaucoup de fictions. Et les
voilà pris. — Aux étudiants, on dira : « voyez, vous êtes en
réalité nos clients, de véritables adultes qui achètent et
consomment ; vous vivez le beau côté de la vie économique, celui du
client-roi ; tout tourne autour de vous à l’université, nous sommes
vos serviteurs, vous nous payez. » Et les voilà pris aussi. Ils tendent
à s’organiser en association de consommateurs, à magasiner parmi les
cours, à vouloir des bureaux où se plaindre s’ils ne sont pas satisfaits
de la marchandise, et surtout à se persuader qu’ils reçoivent dans leurs
cours quelque produit terminé, prêt à la consommation : des
informations, des savoirs, etc. Les voilà devenus passifs sur le point
essentiel, celui de leurs études, pendant qu’ils s’activent vainement
comme clients, renforçant par leurs attentes et revendications la
transmission non critique des savoirs. Admirez
maintenant comment nos patients sont prêts à subir le deuxième moment de
leur mutation symbolique. Les travailleurs de la recherche et de l’enseignement
représentent une force anonyme, syndiquée, appliquée à des tâches par une
direction extérieure à eux. Trouvons une catégorie qui rassemble cette
classe avec les autres employés de l’université, dont ils ne seront plus
qu’une espèce. Réduisons encore ce genre à un autre, plus universel, où
ils se confondront parmi les moyens de production, comme une espèce. Les
voilà parmi les ressources à disposition de l’administration
universitaire. Et, par ce coup, leur orgueil se fait briser la nuque. Quant à
nos clients, ils sont dans le magasin, où tout est déjà préparé pour eux.
Mais ils ne sont pas si libres de ressortir, parce qu’ils veulent pouvoir
rester dans le circuit économique, avantageusement si possible, en repartant.
Alors, de clients amollis, ils deviennent matériaux aptes à être formés
dans les moules préparés pour en faire à leur tour les marchandises qui
seront mises sur le marché par l’université pour d’autres clients, moins
illusoires. En outre, une fois les prétentions traditionnelles à la
distinction écrasées par cette mutation symbolique et effective, c’est
également le réseau de relations personnelles entre les membres de ces deux
groupes problématiques qui est défait au profit de la rencontre anonyme de
deux masses impersonnelles, dont les contacts sont régis par les procédures
d’opération de l’entreprise. Le
reste de la stratégie d’assimilation n’est plus que l’enfance de l’art.
Noyer les professeurs et les étudiants dans une administration proliférante,
noyer l’université dans la vie sociale et économique en en confiant la
direction à un conseil d’administration (dont le nom seul déjà signifie
bien qu’on réduit pour l’essentiel la politique de l’université à l’administration),
intensifier toutes les formes d’interactions avec ce milieu, soumettre de
plus en plus les professeurs aux impératifs de l’administration et aux
administrateurs, qui ne voit que tout cela doit être accompli ? Venons-en
donc plutôt à l’autre aspect, plus particulier, de la cure, destiné à
couper les désirs qui s’opposent à cette évolution. Je commencerai par
les professeurs, puisque c’est eux qui traînent encore le plus le passé
traditionnel, et qu’ils risquent de représenter des modèles de vie
pernicieux pour les étudiants et de leur inoculer leurs lubies — non pas qu’ils
fassent nécessairement naître les désirs en question, mais ils peuvent les
favoriser là où ils s’éteindraient peut-être bientôt sans aliment. Il
faut les attaquer dans leurs deux domaines principaux d’activité : la
recherche et l’enseignement. Du
côté de la recherche, il faut leur retirer le plus d’autonomie possible.
Pour cela, il convient de mettre au point un mécanisme qui est déjà en
train de se constituer avec une certaine cohérence, et qu’il suffit de
raffermir. Afin de contrôler la recherche, il s’agit de la saisir par ses
aspects plus publics. Le subventionnement de la recherche même, d’abord,
doit être confié à des organismes de caractère apparemment neutre, devant
lesquels on puisse faire paraître les chercheurs individuels comme des
requérants, pour ne pas dire des mendiants. Il faut que là aussi, l’esprit
gestionnaire domine et oblige les requérants à la soumission. En principe,
il ne faut jamais abandonner les professeurs à leur seul jugement. On
financera leur recherche, non pas globalement, mais par projets, en leur
demandant de décrire minutieusement leurs recherches futures, et en
contrôlant qu’ils ne dévient pas de leur planification, par une procédure
qui les oblige à revenir constamment devant le tribunal des
« pairs ». On s’assurera par là, premièrement, qu’ils ne
dévient pas des modes de recherche conventionnels et de l’esprit de la
science d’aujourd’hui, deuxièmement, qu’ils soient découragés de se
lancer dans des entreprises de pure science au sens traditionnel. En
apparence, les subventions sont uniquement des aides à la recherche, des
faveurs à l’égard des meilleurs chercheurs. En réalité, elles doivent
devenir indispensables même à ceux qui n’en ont pas besoin du pur point de
vue financier. Pour cela, on répandra déjà l’idée que la distribution
des subventions est l’indicateur par excellence, voire exclusif à terme, de
la recherche qui se fait sérieusement. De cette manière, les chercheurs les
plus indépendants seront incités à s’adresser aussi aux organismes
subventionnaires pour faire reconnaître leurs activités face à l’administration
de leur unité, à leurs collègues et à leurs étudiants. De plus, on
financera indirectement une partie de leur activité d’enseignement par le
canal de ces subventions, en soutenant leurs étudiants avancés grâce aux
fonds consacrés aux diverses formes d’assistanats dans leur budget de
recherche. De cette manière, le chercheur non subventionné verra les
étudiants avancés se tourner de préférence vers ceux qui le sont et qui
pourront leur offrir des moyens de subsister. Enfin, on favorisera le travail
en équipe, en supposant simplement qu’il est seul sérieux et efficace. L’idée
qu’on accroît ses forces en les joignant correspond à une expérience si
habituelle qu’elle passera sans problèmes majeurs, de sorte que les
universitaires devront se soumettre ainsi au jugement permanent de leurs pairs
dans leur propre équipe, s’ils veulent continuer à être subventionnés.
Puis, quand l’opinion se sera répandue que les subventions sont l’indice
par excellence de la recherche, le moment sera venu d’opérer une
distinction entre les professeurs chercheurs et les autres, pour moduler leurs
tâches et contraindre à de plus lourdes charges d’enseignement ceux qui ne
seront pas censés consacrer leurs énergies à la recherche. De cette
manière, la recherche autonome recevra enfin le coup de grâce. Mais
ici, il faut bien veiller à ce que le dispositif soit réglé de telle
manière qu’il agisse automatiquement en se renforçant et en utilisant l’énergie
même de ceux qu’il doit étrangler, comme le nœud coulant se serre grâce
au poids même du pendu. Car s’il fallait se contenter d’agir de l’extérieur,
on risquerait de s’épuiser et de susciter la révolte. En effet, il importe
que la contrainte ne soit pas localisée. Toute l’activité administrative
à laquelle sont soumis les chercheurs subventionnés n’a pas pour seul but
de permettre leur contrôle de l’extérieur. Elle vise aussi à les éduquer
à l’esprit de la science conventionnelle administrée. Grâce à cet effet
formateur, chaque chercheur ne sera pas seulement contrôlé par ses
« pairs », mais il apprendra à devenir l’un des
« pairs » contrôleurs pour les autres. Remarquez
bien comment, dans cette action formatrice réciproque, se trouve l’une des
plus grandes subtilités du système. Dans maintes circonstances, grâce à
une rotation, chacun des joueurs se trouvera dans la position du juge, à l’intérieur
d’un comité de pairs plus ou moins formel. On attendra donc de lui qu’il
évalue certains produits de la recherche de ses collègues selon les
critères admis. Et rien ne forme davantage au respect des règles que l’effort
de les appliquer avec justice au travail des autres. L’une
des grandes occasions de cette formation, par contrainte extérieure comme par
participation aux jurys, sera donnée dans une réorganisation de tout le
domaine de la publication scientifique. Il suffit de subventionner les revues
et les maisons d’édition concernées, à condition qu’elles appliquent la
règle de l’évaluation par les pairs. L’effet est immédiatement
double : d’une part la sélection des textes se fera selon les
critères appliqués pour le subventionnement des recherches, puisque les
revues devront aussi montrer patte blanche aux organismes subventionnaires et
seront elles-mêmes jugées par les pairs ; d’autre part, en lisant ces
textes conformes, les chercheurs apprendront insensiblement le style de
recherche qu’on veut leur inculquer. Voilà
comment le chercheur dissident se trouvera bientôt isolé, privé de soutien
financier et de considération, mené à douter de lui et à se réformer. On
peut admirer comment, contrairement à ce qu’il aurait pu sembler, bien
organisé, le constant contrôle par les pairs n’introduit pas le risque de
donner voix à la dissidence scientifique, mais renforce automatiquement la
conformité. Et il a l’avantage de donner l’illusion de l’autonomie de
la recherche scientifique. Mais
pour que le dispositif fonctionne, il faut que certaines conditions soient
remplies. L’université doit déjà être baignée dans l’ordre
économique, administrée comme une entreprise, vouée majoritairement à la
formation de professionnels, et la majorité des chercheurs doit sentir le
besoin de se justifier socialement en se rendant utile et en orientant donc
ses recherches selon les critères d’utilité du milieu socio-économique
ambiant. C’est alors seulement que le mécanisme peut démarrer dans la
bonne direction. Après l’immersion dont nous avons parlé ci-dessus, l’université
est prête à la vaste opération du contrôle par les pairs. Maintenant,
il ne reste plus qu’à encadrer de la même façon le professeur dans son
enseignement. On le soumettra de plus en plus à des programmes, évalués par
ses pairs, jusque dans le détail si possible, pour lui enlever toutes
velléités d’originalité. On soumettra le professeur enseignant à des
spécialistes de la fonction, en l’entraînant à une pédagogie dite
universitaire, qui lui apprendra à vendre ses informations à des clients
blasés, à imposer de bon ou de mauvais gré à ces matériaux humains la
forme voulue. Finalement,
l’étudiant, formé de cette manière, n’attendra plus rien de la science
que ce qu’il aura pris l’habitude d’en recevoir dans ses cours. On le
surchargera d’heures de cours, de petits et plus grands contrôles, de
façon à ce qu’il ait le moins souvent possible des velléités de s’égarer
en errant au hasard dans les bibliothèques. Il aura pris l’habitude de ne
rien apprendre que ce qu’on lui inculque dans ses cours, et on pourra lui
donner en retour la même fonction de contrôle sur ses professeurs, dont il
jugera les cours à partir des attentes que cette forme d’enseignement aura
fait naître en lui. A ce point, pour les dissidents, le cercle est fermé, le
nœud resserré, le souffle coupé.
5
Qu’on
ne croie pas cependant que je me sois contenté de décrire une bataille
gagnée. C’est uniquement un plan, déjà appliqué en partie, mais qui ne
réussira que si on le met en oeuvre dans toute son extension et toute sa
cohérence. Les vieux « savants » qui continuent à voyager entre
les mailles trop lâches du filet qu’on leur a tendu jusqu’ici sont des
originaux, souvent imprévisibles, qu’il convient de ne pas sous-estimer. S’ils
font partie des ressources de l’université, ils ont également des
ressources personnelles qui échappent à l’administration universitaire, et
qui leur permettent encore de continuer leur existence parasitaire dans ses
structures. On ne les mènera à la reddition complète qu’en appliquant
avec rigueur, sans faille, sans pitié, le plan esquissé ci-dessus. La guerre
est certes presque gagnée, mais la bataille décisive est encore pour demain. Pairs
syndiqués, professionnels en formation, administrateurs zélés, courage,
ténacité, et nous chasserons enfin la science de l’université !
Québec, 1992 G. B.
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